Cet article est originellement signé d’Ignace Mulliez, membre du comité de rédaction (Extrait du Fonds documentaire du CNMN et de L’Enfant et la Vie – Années 1969 -70- 71).
Le nouveau-né
Maman vient de me déposer doucement dans mon berceau. J’ouvre les yeux de temps en temps et je peux voir tout ce qui se passe… C’est fort nouveau et donc très intéressant…
Après mon petit corps, c’est maintenant, mon esprit que je dois construire. Pour cela, j’ai besoin de liberté pour mes yeux et mes oreilles. Et même pour mes bras et jambes. Beaucoup de mes malheureux collèges de promo sont coincés au plus profond d’un berceau aux parois hautes et aveugles… Devront-ils attendre 5 ou 6 mois pour sortir de cette prison et savoir ce qui se passe ? C’est bien simple, leur esprit n’est nourri que des bruits qui leur parviennent, d’ailleurs mal : ils y répondent naturellement en criant comme des lycéens, autant pour se distraire que pour obtenir des sorties temporaires accompagnées, bien-sûr de gronderies désagréables.
J’ai un berceau ‘panoramique’… Merci et bravo maman. Tu seras d’ailleurs plus tranquille car j’y reste plus volontiers même quand je ne dors pas.
Cette lumière qui remplit mes yeux, c’est plutôt brutal ; maman clôt légèrement les rideaux bleus, pour que je puisse ouvrir mes yeux plus grands.
Tout m’amuse et je gazouille en digérant mon dernier casse-croûte et en attendant le suivant. Alors, tandis que je tête, maman me dit des tas de mots jolis qui sont pour moi l’aide la plus précieuse que l’on peut me donner pour que je construise mon langage.
J’ai quinze mois ou guère plus
Des mots, j’en connais des tas, je les repère au passage lorsque maman les met en phrases.
J’ai ma table de toilette à moi. J’y range mon gant de toilette, bien ajusté à ma main et un peu serré au poignet : je peux ainsi frotter ma frimousse sans qu’il m’échappe quand j’y passe un petit bout de savon.
J’ai mon miroir : c’est utile pour savoir qui on est déjà, et si on est bien peigné ; maman, elle, ne peut y voir que de ses pieds à ses genoux à peu près. Mais elle en a un autre, de son âge où je ne vois rien, sauf quand elle me porte. Je deviens vraiment un peu lourd pour elle. Et moi, cela m’embête d’être porté, j’ai des jambes après tout.
J’ai aussi un vrai verre à dent, une vraie brosse et du dentifrice dont je fais parfois des sottises, mais j’ai tout ce qu’il faut pour nettoyer, lorsque j’ai versé un peu d’eau à terre, j’essuie cela avec ma serpillère. Quand je me rince les dents et que j’avale l’eau elle n’en fait pas un drame. Elle m’explique et je crache gentiment.
Au début, elle m’aide, mais je préfère faire tout seul. Tout ! Etc. etc. etc.