Merci ou « dis merci » ?

« Merci ».

Un petit mot qui sourit quand il est dit tout simplement, avec spontanéité, pour une petite chose. Un petit mot qui chante à l’oreille, et qui sait si bien chanter au cœur quand il exprime un sentiment. Mais s’il faut le quémander, en faire un réflexe conditionné, il perd sa gratuité, et celui qui donne devient celui qui veut recevoir. S’il n’est plus que le vernis d’une politesse il se dessèche et perd son essence. « Oui », c’est un petit mot fragile… 

Une petite fille de 2 ans aidait sa maman avec joie. Elle prenait les objets achetés, les donnait à sa maman qui les donnait à l’épicière, qui en tapait le prix et les mettait dans le sac de la dame. C’était gentil, mais tout allait se gâter lors de la cérémonie du bonbon ; en effet, cette commerçante avait l’habitude d’en donner aux enfants. Elle présenta donc ce bonbon à la fillette qui l’eût pris si la dame ne l’eût tenu fermement entre ses doigts. C’est alors que les : ‘Qu’est-ce qu’on dit ?’ – ‘Dis merci’, apparurent. La petite fille était tiraillée entre le regard foudroyant de sa mère, celui buté de la marchande et ce fameux bonbon.
Et la mère de se lamenter : – « Ah celle-là ! la voilà qui fait sa tête », « Têtue va ».
La petite fille si joyeuse tout à l’heure, avait pris un regard fermé.
Pourquoi ce refus ?
L’enfant était peut-être intimidée… On l’avait mise de mauvaise humeur avec cette insistance. Et, après-tout, lui avait-on dit merci, tout à l’heure quand elle tendait si gentiment les objets à sa maman, Non.
La maman avait l’air désolée : les autres disent merci, pas sa fille et pourtant elle avait le sentiment de l’élever en lui faisant dire merci. Elle l’avait giflée et eue tout à fait bonne conscience de lui avoir donné une bonne leçon. Quant à la marchande, elle avait rangé le bonbon !
La prochaine fois, elle dira merci. Oui, peut-être, mais quel merci ?!

Un enfant peut-il dire merci sans qu’on lui dise « dis merci ! » ?

Je connais un enfant à qui l’on ne dit pas cela et pourtant, il dit « merci » toute la journée ; et chaque « merci » est un petit rayon de soleil pour nous, adultes. Il a presque trois ans. Lorsqu’il commençait à parler, ce fut une découverte. Il sortait la vaisselle de l’armoire tandis que sa maman mettait le couvert. Elle lui disait « merci » pour chaque objet qu’il tendait : Un couteau : « Merci » ; une assiette : « Merci » ; un verre : « Merci.
Le petit inversa les rôles, et dit « merci » en tendant l’objet, par imitation sans doute. Il ne comprenait pas, mais il aimait ce jeu. Il disait : « – Viens, maman, on va dire merci ». Et si le décor changeait, la scène restait immuable.
Petit à petit, le jeu devint plus pensé. Avec intelligence l’enfant n’inversa plus, il tint bien son rôle, puis disait à sa mère : « maman, change, je veux dire « merci ». La maman tendait alors les objets à l’enfant, qui disait : « merci ». Ainsi l’embryon du merci était né. Il restait à passer de ce stade au stade ‘moral’, c’est-à-dire à celui du cœur. Cela se fit doucement, sans bruit ni éclat, comme se font les choses importantes. Seule, la maman fit cette découverte. Personne sans doute ne vit la différence. Mais cette maman là eut la joie de constater, au regard de son enfant, que le vrai merci était bien celui-là. 

Pourquoi l’autre maman n’aurait-elle pas cette joie, elle aussi, avec sa petite fille ?

Bien souvent nous nous privons de choses bien douces. C’est si merveilleux, lorsque l’on sait attendre, de voir une petite violette pousser dans un bois parce qu’elle a tout ce qu’il lui faut. Mais si elle est enfermée dans une serre et que l’on intervient à grand renfort d’engrais, elle poussera, bien-sûr, et même plus vite. Mais aura-t-elle la fraicheur, le parfum, la vigueur de celle des bois ? C’est là toute la différence.
Dans notre cas du « merci », si la maman avait toujours dit « merci » à sa petite fille, il n’y aurait aucune raison pour que sa fille ne le dise pas ; mais elle a brusqué son enfant. Les : « dis merci » sont tel l’engrais. Le merci sera forcé, ‘poussé’, comme l’on dit en culture ou en élevage, et il ne deviendra pas avant longtemps le « merci » du cœur. Il en est ainsi de nos enfants. La scène de l’épicerie, et d’autres aussi peut être, sont gravées dans le cerveau de l’enfant comme le sont toutes nos actions envers lui, plus profondément même, si l’enfant est plus jeune. Soyons le bon terrain des bois. Il est discret, fort, c’est lui qui fait vivre.

Adieu les :« dis merci ».
« Merci », tout court.

Anne Motte, membre du comité de rédaction (Fonds documentaire du CNMN et de L’Enfant et la Vie – Années 1969 -70- 71).