Les lois de la croissance de l’enfant selon Maria Montessori

Cet article a été publié originellement par Jeannette Toulemonde et le comité de rédaction – Fonds documentaire du Centre Nascita Montessori du Nord-L’Enfant et la Vie, Juin 1972. 

Qui est Maria Montessori ? Une femme parmi d’autres, au grand cœur, qui s’est penchée sur le problème de l’enfance. Voici un peu l’image d’Epinal de Maria Montessori à laquelle succède immédiatement une autre pensée : ils sont nombreux les hommes et les femmes de grand cœur qui se sont penchés sur le problème de l’enfance depuis Fénelon et Rousseau. Le nombre de ces grands esprits qui se sont intéressés à l’éducation n’a cessé de croître, et à ces esprits se sont joints tous ceux qui ont présidé à l’élaboration de ‘méthodes’, c’est-à-dire d’un ensemble de règles sur lesquels repose l’enseignement. En quoi l’œuvre de Maria Montessori comporte-t-elle quelques caractères qui la fait se distinguer des autres ?

L’éducation implique l’étude de la vie

Le chemin pris par Maria Montessori est proche du biologiste : l’éducation implique l’étude de la vie. Ce chemin consiste à créer autour du sujet que l’on veut étudier, les conditions optimales favorables à la manifestation des caractères réels du comportement naturel. Il nous faut étudier le fonctionnement spécifique de l’intelligence de l’enfant et ensuite les étapes de croissance, base évidente du travail sur l’enfant.
Il est facile de saisir qu’un être vivant, mis dans une ambiance qui lui est favorable, donnera des signes caractéristiques d’une vitalité qui échapperait ou qui serait complètement caché dans un milieu qui ne lui permettrait pas de se révéler, ou qui même, serait créateur par phénomène de self défense, de caractères parfois opposés ; caractères qu’il faudrait interpréter à leur juste valeur. N’est-ce pas le cas, par exemple, des manifestations de tendances de la jeunesse actuelle qui ne sont que des réactions, peut être anarchiques, dues à des conditions non conformes aux lois de la croissance de l’être ?

Pas de « remède » éducatif spécifique

Pierre Lecomte du Nouy (contemporain de Maria Montessori, mathématicien, biophysicien, philosophe et écrivain), exprime son désespoir en ce qui concerne les phénomènes de la psychologie humaine. Jamais, dit-il, en en effet, on ne pourra mettre sous le scalpel un fait psychologique. Mais Teilhard de Chardin (contemporain de Maria Montessori, scientifique, paléontologue, auteur) apporte sa pierre à l’édifice quand il formule le principe suivant : « C’est une œuvre reconnue en sciences, que la ‘réalité’ d’un objet, -même directement insaisissable, une masse atomique par exemple), que de pouvoir être décelé, toujours le même, par une série de méthodes différentes. Cette pleine convenance de quelque-chose d’identique à un groupe varié d’expériences, circonscrit aussi sûrement un ‘noyau’ naturel’, que le toucher ou la vie ».
Il est courant de reprocher à Maria Montessori le manque de spécificité des remèdes qu’elle propose au plan éducatif, les méthodes ayant en général leur petite bouteille de médicament pour chaque cas en particulier. Il existe des détracteurs forcenés de la pensée de Maria Montessori qui ignorent les fondements même de cette pensée.
La pensée de Maria Montessori nous a révélé des valeurs universelles qui trouvent leur justification dans le terme d’universelle convenance, cité ci-dessus par Teilhard de Chardin. Mais attention, ‘universelle convenance’ ne veut pas dire attitude unique envers tous les enfants, sans tenir compte de leur âge, par exemple.
Si l’on se plait à souligner que l’attitude universelle convenable, qui se dégage de la pensée Montessorienne est le respect de l’enfant ce respect doit être très nuancé, c’est-à-dire revêtir de formes diverses suivant l’âge de l’enfant intéressé. Il s’agira toujours de respect, mais de respect des besoins psychologiques réels, et non d’un respect qui confine au laxisme

Le fonctionnement spécifique de l’intelligence de l’enfant

Le travail de l’enfant est unique, inconscient ; c’est pour cela que l’adulte ne peut avoir aucun souvenir de ce travail, et qu’il ne peut, par conséquent, pas l’identifier. Dès sa conception, l’enfant possède en lui toute la puissance qui lui fera réaliser l’homme qu’il doit être. …/…
Nous savons qu’au plan biologique rien ne lui sera ajouté à partir du moment où conçu, il va se développer. Ce qu’il contient est à la fois physique et psychique, à la fois physique et spirituel…/…
Si les étapes physiques sont remarquables, combien plus remarquables sont les étapes psychologiques. Lorsque l’on cherche à cerner la vie, lorsque l’on se pose la seule question importante : qu’est-ce que la vie ? On est immanquablement amené à se rendre compte qu’il faut aller vers des critères essentiellement spirituels pour la cerner.
La vie n’est certainement pas seulement respiration et reproduction cellulaire…/… La vie est conscience. Et même… Cette fleur de la conscience que l’on appelle le psychisme. 

Comment expliquer la mise en œuvre du psychisme ?

Comment nous représenter cette création ? Certainement pas ‘ex nihilo’. Nous pouvons observer que la croissance de l’enfant suit un plan préétabli. Les phénomènes ne se succèdent pas au hasard, mais au contraire avec une rigueur absolue ; et l’esprit de l’homme est tellement convaincu par l’expérience de la valeur de ces étapes de croissance que, si par hasard l’un de celles-ci vient à manquer, il en conclue à une maladie. 

Prenons un exemple : celui de la création du langage. Ce que nous savons c’est que quelle que soit la nature du langage maternel, il sera acquis à deux ans. Simple ou complexe, l’enfant de deux ans parlera son langage maternel. Il y a déjà là quelque-chose qui échappe à un raisonnement purement humain.
Petit à petit se concentrant, se différenciant, se transmutant, cette énergie psychique initiale devient langage et langage parfait : le langage maternel. N’allons pas croire qu’il s’agit de quelque-chose d’analogue à une transformation chimique pure. En effet au sein de cette matière psychique existe une sensibilité correspondant curieusement à la sensibilité de sa mère au même moment et c’est cette sensibilité qui est le facteur central et essentiel de cette ‘nébuleuse’ psychique. Ne pensons pas, non plus, à une forme d’égoïsme à deux : la mère et l’enfant. Mais sachons reconnaître que si toute cette nébuleuse psychique était coupée de la vie, il y aurait peut-être un admirable développement, mais non intégré à la vie. Un peu quelque chose comme un développement in vitro. C’est parce que, par des liens mystérieux, cet admirable échange de sensibilité réciproque est relié à la vie que se produit ce phénomène ineffable de création de quelque-chose de parfait, que nous ne devons pas confondre avec son développement ultérieur. Coupé de la vie, il n’a plus de sens ; privé de la réciprocité d’affection, il se bloque, il ne se développe pas. Il reste inerte jusqu’à entrainer la mort. 

Nous pensons alors qu’il est logique d’extrapoler un tel processus de création aux différentes phases successives par lesquelles devra passer l’homme pour atteindre sa stature définitive :
1 -D’abord exister
2 – Création de l’Homme moral
3 – Création de l’Homme social
4 – Création de l’Homme politique.

C’est cette totalisation d’hommes qui crée l’Homme.