L’illettrisme, un fléau social
Avant toute chose, définissons de quoi l’on parle ! L’illettrisme concerne des personnes qui, après avoir été scolarisées en France, n’ont pas acquis une maîtrise suffisante de la lecture, de l’écriture, du calcul, des compétences de base, pour être autonomes dans les situations simples de la vie courante.
En juin 2019, sous la tutelle du ministère de l’Éducation nationale, une étude de la Direction de l’évaluation, de la prospective et de la performance montre que l’illettrisme touche 5,2% des 16-25 ans en 2018 ; ils étaient 5,1 % en 2014. Autrement dit, il y aurait une stagnation, voire une très légère augmentation de 0,1 point. L’illétrisme ne recule donc pas en France !
De quoi s’interroger sur l’apprentissage de l’écriture et de la lecture malgré tous les efforts fournis… d’autant plus que l’enquête met en avant un chiffre record : 48,5 % des jeunes de niveau collège ont des difficultés de lecture. De quoi remettre en question tout notre système d’apprentissage national de notre langue française !
Sauf… que « les résultats de l’année 2018 ne peuvent pas être interprétés en évolution » nous dit l’enquête. En effet, « une rupture de série par rapport aux années antérieures à 2016 a été constatée. Elle est causée par « des problèmes techniques rencontrés lors des passations ». Ces problèmes ont empêché « les jeunes de répondre à certains items, or une non-réponse est considérée comme une non-maîtrise de ce qui est attendu ». Par conséquent, « le pourcentage de jeunes en difficulté de lecture est surestimé en 2018, 2017 ainsi qu’en 2016 ».
D’où trois questions !
La première question : comment expliquer qu’il ait fallu trois années pour s’apercevoir des « problèmes techniques » ?
La deuxième : comment expliquer que scientifiquement une non-réponse soit équivalente à « non-maîtrise de ce qui est attendu » ?
La dernière, enfin : ces biais techniques invalident-ils tous les résultats de l’enquête ministérielle ?
Si nous ne pouvons répondre aux deux premières, la dernière question appelle cependant une réponse claire : non ! Certains résultats sont exploitables !
En effet, ces résultats peuvent être étudiés à l’échelle départementale. S’il n’est pas possible d’apprécier de manière chronologique les résultats du fait de biais techniques existant dans les enquêtes de 2016, 2017 et 2018, il est facile de les considérer de manière synchronique – ou au même instant dans différents territoires – dans la mesure où le biais technique du logiciel a concerné tous les jeunes qui ont répondu à l’enquête en 2018 quel que soit leur territoire.
Qu’observe-t-on alors ? Les différences départementales sont très fortes.
Ainsi, la fréquence des difficultés de lecture est, en France métropolitaine, plus prononcée dans des départements du nord ou entourant l’Île-de-France. De fait, la part des jeunes en difficulté de lecture s’élève à 17,2% dans l’Aisne, 15,4% dans la Somme et 14,1% dans l’Oise. Elle atteint aussi 15,3% dans la Nièvre et 15,2% en Charente. En Île-de-France, la part des jeunes en difficulté varie de 5% à Paris à 12,3% en Seine-Saint-Denis.
Ces inégalités territoriales sont à rattacher en particulier aux inégalités sociales, culturelles et économiques. Comment expliquer la différence de 7,3 points entre Paris et la Seine-Saint-Denis ? Notre réponse : lors d’une enquête qui a duré près de quatre ans auprès de 1 040 jeunes, notre cabinet THE OLIVE BRANCH a mis en lumière les disparités linguistiques dans l’enseignement primaire et secondaire dues aux inégalités sociales et culturelles des familles. Nous ne faisons que confirmer les résultats des sociolinguistes tels que ceux développés par Basil Bernstein.
D’où, in fine, deux questions que je pose :
- combien de temps encore va-t-on ignorer les résultats internationaux probants apportés par la méthode de Maria Montessori pour l’apprentissage de la lecture et de l’écriture ?
- qui donc a intérêt à laisser se développer l’illétrisme, symbole de l’inégal accès à la culture, au savoir et donc à l’émancipation ?